« Le dialogue ne peut se faire qu’autour du Président Tshisekedi. Ce n’est pas le dialogue qui donne la légitimité. Le Président Tshisekedi est déjà légitime» (VPM Adolphe Muzito à la RFI)
Voici l’intégralité de son interview
Journaliste (BoisBouvier) : Monsieur le Vice-Premier Ministre, bonjour.
Muzito : Bonjour.
Journaliste : Après presque sept ans dans l’opposition, vous avez accepté, il y a un mois, d’entrer dans un gouvernement sous la présidence de Félix Tshisekedi. Pourquoi ce changement de cap ?
Muzito : Oui, en effet, vous le savez. Je pense que tout homme épris d’amour pour sa nation est tenu d’être disponible pour servir son pays.
Et j’ai estimé important, en ce moment, d’apporter ma modeste pierre à la construction de ce merveilleux pays. Et comme vous le savez, face à l’agression dont notre pays est victime, et au regard de l’élan que prend la République, je ne pouvais pas ne pas répondre à l’appel solennel du Président Tshisekedi. J’ai donc accepté de lui prêter mes forces et de mettre mon expérience à sa disposition pour faire avancer la République.
Journaliste : À la suite de ce que vous appelez l’agression dans l’Est de votre pays, d’autres figures de l’opposition ont accepté le principe d’entrer au gouvernement. C’est le cas de Martin Fayulu. Mais celui-ci précise qu’il faut d’abord que le pouvoir organise un dialogue politique national, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui. Alors, en entrant dans ce gouvernement sans dialogue préalable, est-ce que vous ne mettez pas la charrue avant les bœufs ?
Muzito : Bon, de mon point de vue, le dialogue ne peut se faire qu’autour du Président Tshisekedi. Ce n’est pas le dialogue qui donne la légitimité. Le Président Tshisekedi est déjà légitime. C’est lui qui incarne la légalité nationale. S’il tend la main à l’opposition, c’est parce qu’il veut associer tous les Congolais, pour que nous parlions d’une même voix et qu’il puisse ainsi matérialiser la cohésion nationale, de manière à faire face à l’ennemi.
Donc moi, je n’avais pas besoin d’attendre, tout en sachant que le Président Tshisekedi représente la légalité nationale. Nous sommes agressés. C’est lui qui est à la tête du pays. Je voulais qu’on se rassemble, que tous les Congolais parlent d’une même voix, pour que, psychologiquement, on puisse affaiblir nos agresseurs, notamment les Rwandais et leurs sous-fifres.
Je n’avais donc pas besoin d’une autre légitimité que celle dont il est porteur, parce que c’est lui, finalement, qui a été élu par le peuple.
Journaliste : Donc, le dialogue politique national que réclament les Églises catholique et protestante, pour vous, ce n’est pas une priorité ?
Muzito : Ils le réclament. Le Président Tshisekedi est ouvert. Il a souhaité que l’Église et la société civile se mettent ensemble pour faciliter cette rencontre. C’est lui qui incarne la légalité, et c’est lui qui donnera, y compris à ces forums, leur légalité et leur légitimité.
Journaliste : Adolphe Muzito, de 2008 à 2012, pendant près de 4 ans, vous avez été le Premier ministre du chef de l’État de l’époque, Joseph Kabila. Or, aujourd’hui, celui-ci est en exil et il est poursuivi par la justice militaire congolaise pour complicité avec les rebelles du M23. Le 25 août, le ministère public a même requis contre lui la peine de mort pour crimes de guerre et trahison. Qu’en pensez-vous ?
Muzito : Ce que j’en pense, c’est que d’abord, il faut respecter la justice. C’est elle qui doit se prononcer. Quant au président Kabila, le moment est venu. Il devra se défendre, éventuellement faire appel. Je crois que nous sommes un pays démocratique. La justice examinera son recours.
Je trouve le Président Tshisekedi d’autant plus généreux que je ne le vois pas en train d’appliquer une telle sentence. Mais à ce stade, je me limite à ce commentaire. Il faut respecter la justice et attendre son verdict.
Journaliste : Mais vous, qui connaissez bien Joseph Kabila, puisque vous avez travaillé à ses côtés pendant près de quatre ans, que pensez-vous de son attitude politique actuelle ?
Muzito : Moi, je n’ai pas beaucoup apprécié qu’il soit passé par le Rwanda, alors qu’il avait, en son temps, mené la guerre et repoussé les rebelles. Je ne vois pas comment il a pu s’y hasarder, organiser une rébellion contre son propre pays ou soutenir les sous-fifres que sont ces rebelles-là. Je n’ai pas compris cette attitude. Ce n’est pas une attitude responsable de sa part.
Journaliste : Peut-être un acte de vengeance ?
Muzito : Contre Tshisekedi ? Mais c’est la République. Le Président Tshisekedi a été élu par le peuple. Je ne vois pas en quoi ce serait un acte de vengeance ni quel problème cela résoudrait. Je ne comprends pas très bien.
Journaliste : Pour l’opposant Moïse Katumbi, ce procès contre Joseph Kabila est une manœuvre politique cynique pour réduire au silence un acteur majeur.
Muzito : Je ne commente pas les propos de M. Katumbi. Cela l’engage, lui.
Journaliste : Et au moment où le président Tshisekedi veut rassembler tous les Congolais et se dit ouvert au dialogue avec ses adversaires, la preuve, l’accord de Washington avec le Rwanda le 27 juin dernier, est-ce que ce réquisitoire de peine de mort contre l’ancien président ne risque pas, au contraire, de durcir le conflit ?
Muzito : Le réquisitoire, c’est une affaire de la justice. Je ne vois pas le président de la République, en tant que responsable politique qui veut l’unité nationale face à l’agression extérieure, être à l’origine de ce réquisitoire. Je pense que la justice est indépendante.
Journaliste : Adolphe Muzito, vous êtes Vice-premier ministre en charge du Budget et vous préparez donc le budget 2026. L’an dernier, la RDC avait prévu un budget de plus de 17 milliards de dollars pour 2025. Mais en juin dernier, ce budget a été revu à la baisse à cause de la guerre et d’un manque à gagner d’environ 700 millions de dollars. Quel budget prévoyez-vous pour l’année prochaine ?
Muzito : Pour l’année prochaine, donc pour 2026, je prévois un budget qui tournera autour de 12 milliards de dollars en ressources propres, c’est-à-dire les ressources courantes.
Ce montant est plus ou moins comparable au budget dont a hérité M. Tshisekedi au début de son mandat. Ce sera un budget important.
Je pense que le président Tshisekedi et sa Première ministre pourront, à ce moment-là, dégager les ressources nécessaires pour financer les infrastructures, équiper l’armée, et peut-être améliorer les salaires des fonctionnaires, en réalisant des économies via un meilleur contrôle, sous la supervision de la Première ministre, notamment en extirpant les effectifs fictifs de l’administration publique.
Il y aura donc une tendance à l’amélioration des salaires des agents de l’État, dans certaines proportions.
Nous sommes sur la bonne voie, avec un budget autour de 12 milliards en ressources propres, et environ 5 à 6 milliards de ressources extérieures.
Journaliste : Donc, vous parlez d’un budget en ressources propres de 12 milliards de dollars, ce qui représenterait un doublement par rapport à quel budget ?
Muzito : Par rapport au budget de la fin du précédent quinquennat de M. Tshisekedi, qui était de 8,5 milliards.
Journaliste : Donc, ce serait un doublement.
Muzito : Oui, exactement.
Journaliste : Et à ces 12 milliards, vous pourriez ajouter 4 milliards de ressources extérieures, c’est bien cela ?
Muzito : Oui, c’est cela. Nous pourrions ajouter plus ou moins 5 milliards de dollars, grâce notamment au financement de la communauté internationale.
Le Congo conserve une très grande capacité d’endettement, mais aussi une grande capacité de financement du service de la dette.
Actuellement, la dette intérieure et extérieure du pays est autour de 16 milliards de dollars, ce qui est soutenable.
Nous pourrons nous déployer davantage une fois que nous aurons conclu les prochaines revues. Cela nous permettra de mobiliser des financements sur les marchés internationaux et de construire davantage d’infrastructures, en plus de celles que nous finançons déjà avec nos ressources propres.
Journaliste : Et parmi ces ressources extérieures, il y a celles du FMI, avec lequel vous êtes en négociation pour un programme de 3 milliards de dollars. C’est bien cela ?
Muzito : Oui, absolument.
Interview transcrite par la CELLCOM VPM Budget.